L’orient Le Jour : Les risques de la boulimie libanaise pour l’énergie solaire

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Posted On: November 16, 2022

L’orient Le Jour : Les risques de la boulimie libanaise pour l’énergie solaire

Les projets lancés ces deux dernières années ne sont pas tous conformes aux normes, ce qui pourrait avoir des conséquences problématiques à moyen et long terme.

Face à la crise énergétique qui s’est juxtaposée à celle du système économique et financier libanais, nombre de ménages et d’entrepreneurs résidant au Liban s’empressent d’installer des panneaux solaires pour avoir du courant lorsque Électricité du Liban et les générateurs privés rationnent leur production.

Le président du Centre libanais pour la conservation de l’énergie (LCEC) Pierre Khoury fait état de 350 millions de dollars investis et en passe de l’être dans le privé, entre 2021 et fin 2022, pour 250 mégawatts-crête (soit la puissance maximale) installés sur ces deux dernières années, qui se sont ajoutés aux 100 déjà existants. Il s’agit aussi bien de petites installations résidentielles d’appoint que de structures plus grandes équipant des industries, des exploitations agricoles, voire des centres commerciaux.

Cette frénésie libanaise pour les énergies vertes coïncide avec l’aggravation extrême des problèmes d’approvisionnement d’EDL en carburant depuis deux ans ainsi qu’à la levée de la subvention sur le mazout utilisé par les propriétaires des générateurs, entamée il y a plus d’un an dans un contexte de dépréciation de la livre qui a fait s’envoler les prix.

L’avantage du coût

Mercredi, lors d’une conférence organisée àBeyrouth dans le cadre du Salon professionnelMiddle East Clean Energy, le ministre del’Énergie et de l’Eau Walid Fayad a indiqué queles Libanais payaient actuellement le kilowattheure des générateurs 55 cents de dollar lorsque ceux-ci appliquent la tarification du ministère. À titre de comparaison, il était de 22 cents d’euro en Europe en 2021 selon Eurostat (il devrait augmenter en 2022 suite aux répercussions du conflit russo-ukrainiensur l’approvisionnement en gaz des pays del’Union européenne). Les tarifs d’électricité publique sont pour leur part figés depuis 1994 sur la base d’un bail gravitant autour de 23dollars (contre environ 90 actuellement).

Dans ce contexte, l’argument du coût joue en faveur des énergies renouvelables en général, et du solaire en particulier. « Le coût de production déterminé dans le cadre des projets de parcs photovoltaïques lancés sous l’égide du gouvernement est de 5,7 cents de dollar parkWh. Mais il est difficile de généraliser ce nombre puisque que, dans la pratique, le coût sur une installation individuelle varie enfonction de plusieurs facteurs (ensoleillement,rendement, amortissement des batteries, etc.)étant ainsi plus important », explique Pierre Khoury. Le rendement réel d’un panneau dépend aussi de l’emplacement, des conditions météorologiques locales ou encore de l’inclinaison du module qui ne produira de toute façon pas l’électricité lorsqu’il n’y a pas d’ensoleillement. Il reste que, malgré ces variables, le coût du solaire restera toujours plus avantageux (6 cents le kWh sans les batteries, entre 25 et 30 en comptant le coût de stockage).

Le fait que les déboires d’EDL, combinées à la hausse des tarifs des générateurs, aient favorisé les déploiements des systèmes photovoltaïques au Liban semble a priori une bonne nouvelle. Mais sur le terrain, la réalité est beaucoup plus contrastée, déplore Philippe el-Khoury (qui n’a pas de lien de parenté avec le président du LCEC). « Le pays est en train de passer à côté d’une opportunité en or de bâtir un écosystème viable basé sur les énergies renouvelables, et le retour de flamme risque d’être violent », lâche, dépité, le cofondateur de ME Green, une société libanaise fondée bien avant la crise et spécialisée dans l’installation de panneaux photovoltaïques présente au Liban, ainsi que sur certains marchés d’Europe et d’Afrique.

Les risques du travail mal fait

Il dénonce le fait qu’une portion importante des projets lancés ces deux dernières années l’ai en été dans la précipitation par des sociétés guidées par l’appât du gain et qui n’ont pas les qualifications nécessaires. « Il y a beaucoup de mauvais investissements, que ce soit au niveau du matériel choisi ou de la façon dont il a été installé », résume Philippe el-Khoury. Des failles qui exposent les acheteurs à des risques d’incendies, comme cela a pu être le cas lors d’un sinistre à Bchémoun, dans le caza de Aley, qui a fait le tour des réseaux sociaux en juillet dernier.

« Un incendie peut être lié à des protections mal installées, qu’il s’agisse de fusibles ou de parafoudre.Cela peut aussi être provoqué par une absence de raccordement d’un panneau photovoltaïque à la terre ou une mauvaise section de câble reliant le panneau à l’onduleur solaire (un appareil aussi appelé régulateur,chargeur ou convertisseur solaire, et dont le rôle est d’adapter le courant produit pour qu’il puisse être utilisé) », énumère le spécialiste.

Le risque d’incendie n’est pas le seul, et les techniciens doivent en effet prendre en compte d’autres paramètres essentiels, comme la charge de l’installation sur la structure qui l’accueille et la solidité des fixations des modules. En mai dernier, plusieurs panneaux mal attachés ont été arrachés par des vents violents dans un quartier de Beyrouth. « La proportion d’incidents de ce type n’est pas marginale, et elle devrait s’accentuer avec letemps », assure Philippe el-Khoury.

Enfin, les erreurs de dimensionnement des installations (c’est-à-dire l’inadaptation des batteries par rapport aux besoins identifiés) ainsi que celles au niveau du paramétrage peuvent accélérer l’usure des différents éléments qui les composent. « Avec les mauvais paramètres, une batterie peut être à jeter au bout de six mois, alors que sa durée de vie moyenne est bien supérieure », indique encore l’expert.

À titre indicatif, la durée des panneaux solaires varie entre 25 et 30 ans, celle des batteries de 3 à 10 ans, suivant qu’elles soient au plomb (moins endurantes) ou au lithium, tandis quelles onduleurs de bonne qualité sont généralement garantis 10 ans, mais peuvent fonctionner pendant 15 (beaucoup d’onduleurs importés au Liban ont une durée de vie allant de 3 à 10 ans). En dehors des pertes financières, l’usure prématurée pose également un problème d’ordre environnemental, vu qu’il n’ ya pas de véritable filière dans le pays qui soit spécialisée dans la récupération ou le recyclage de ce type de composants.

Des normes pas appliquées

Pour Pierre el-Khoury, une majorité d’acteurs appliquent les normes libanaises dans ce domaine, et le matériel commercialisé sur le marché est testé dans le cadre de procédures pilotées par l’Institut de recherche industrielle (IRI), rattaché au ministère de l’Industrie. Le Liban peut en outre se targuer de disposer d’une réglementation et d’un processus de certification bien fournis, comme le défend Lena Dargham, directrice générale de l’Institut des normes libanaises (Libnor), qui faisait également partie des conférenciers invités à un panel sur cette thématique lors du Salon professionnel la semaine dernière.

« Plusieurs plans d’action pour développer les énergies renouvelables ont été lancés sous l’égide de l’État depuis 2010, et le dernier objectif a été fixé à 30 % de la consommation d’ici à 2030, assurée par les différentes sources disponibles. Des normes ont été fixées pour les installations solaires, éoliennes ethydroélectriques, les performances énergétiques des équipements électrotechniques ou encore les bâtiments “verts”, toutes accessibles et alignées sur les standards internationaux », résume-t-elle. Avant d’ajouter : « Il y a des points faibles dans le système qui doivent être renforcés, car, bien qu’une partie de ces normes soient obligatoires, le problème, c’est la mise en application sur leterrain. »

Un des principaux obstacles est lié au fait queles sociétés qui décident de se lancer dans l’installation de panneaux photovoltaïques n’ont pas besoin d’obtenir une licence spécifique, exception faite des prêts subventionnés par la Banque de l’habitat pour subventionnés par la Banque de lhabitat, pour lesquels une quarantaine d’entreprises ont été agréées. « En dehors de ces cas, n’importe quel marchand peut importer du matériel et s’improviser ingénieur spécialisé dans les énergies renouvelables, sans même s’associer à un ingénieur, voire un technicien », pointe encore du doigt la directrice de Libnor. Une despiste envisagée pour remédier à cette situation sans forcément devoir faire appel aux forces de sécurité pourrait consister à recourir à des acteurs issus du secteur privé, et spécialisés dans la certification et les contrôles. « Le LCEC et l’IRI ont aussi lancé des sessions deformation pour les techniciens. C’est un bon début de solution, et il faut intensifier les efforts dans ces directions », poursuit Lena Dargham.

Elle souligne enfin que la boulimie libanaise pour les installations photovoltaïques individuelles mobilise des moyens qui auraient pu servir à financer des projets à plus grande échelle renforçant les capacités du fournisseur public. L’application d’une stratégie globale combinant efficacement les différentes sources d’énergie renouvelables, le déploiement d’un réseau électrique intelligent (« Smart Grid »)capable d’optimiser la production et la distribution de carburant en temps réel ainsi que l’anticipation de la problématique de recyclage des équipements déployés ces dernières années.

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